Le président irakien prône une "souveraineté intégrale"
Tue June 1, 2004 6:07 PM CEST
par Luke Baker
BAGDAD, 1er juin (Reuters) - Désigné mardi à la présidence de l'Irak, le sunnite Ghazi Yaouar, qui n'était pas le candidat des Américains, a aussitôt réclamé pour son pays une "souveraineté intégrale", exigence de nature à diviser à nouveau le Conseil de sécurité.
"Nous, Irakiens, attendons avec impatience de nous voir accorder une souveraineté intégrale par le biais de la résolution du Conseil de sécurité afin de nous permettre de reconstruire une patrie libre, indépendante, démocratique et fédérale", a dit Yaouar lors d'une conférence de presse.
Sans même attendre le transfert de souveraineté prévu pour le 30 juin, le nouveau président et le gouvernement provisoire, dont la composition a été annoncée mardi, ont été aussitôt investis dans leurs fonctions lors d'une cérémonie tenue dans un ex-palais présidentiel de Saddam Hussein.
A Washington, le président George Bush a estimé que le nouveau gouvernement de transition représentait un large spectre de la société irakienne et avait le "talent" pour diriger l'Irak. Et pour le secrétaire d'Etat Colin Powell, ce gouvernement "mérite amplement notre soutien et celui de la communauté internationale".
Sans évoquer nommément le choix de Yaouar, Bush a déclaré lors d'une conférence de presse que "M. Lakhdar Brahimi (émissaire de l'Onu en Irak) avait recommandé une équipe qui possède le talent, l'engagement et la détermination pour conduire l'Irak à travers les défis qui l'attendent".
Un peu plus tôt, Condoleezza Rice, conseillère de George Bush à la sécurité nationale, a parlé à propos de la composition du nouveau gouvernement d'une "formidable liste" de dirigeants. Quant à la Ligue arabe, son secrétaire général Amr Moussa estime que Yaouar est un homme remarquable au parcours "positif". A New York, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a apporté son soutien à la nouvelle équipe irakienne. "Maintenant le nouveau gouvernement est en place. Nous devons tous aller de l'avant et oeuvrer au transfert de la souveraineté et du pouvoir aux Irakiens le 30 juin".
Le Conseil intérimaire de gouvernement (CIG) qui était à la tête de l'Irak jusqu'à mardi, a contesté le projet de résolution américano-britannique en l'état et souhaité que le futur gouvernement ait explicitement le pouvoir de demander le départ des 150.000 soldats étrangers actuellement stationnés en Irak.
Pour ce qui est du président de la nouvelle administration irakienne, le choix s'était porté initialement sur un autre candidat, Adnan Pachachi, lequel avait la faveur des Américains mais aussi des Nations unies. Cet ancien ministre des Affaires étrangères de l'Irak, âgé de 81 ans, a cependant décliné l'offre et c'est ainsi que Yaouar, qui était le favori du CIG, a été retenu pour le poste, aux attributions essentiellement honorifiques.
Les deux vice-présidents de l'administration irakienne sont le chiite Ibrahim Djaafari, qui dirige le parti Daoua, et le Kurde Roouch Chouaïs. Ainsi sont représentées à la tête de l'exécutif les trois grandes communautés d'Irak - les chiites, majoritaires, les sunnites, qui tenaient le pouvoir sous Saddam Hussein, et les Kurdes, établis pour l'essentiel dans le nord.
Agé de 46 ans, Yaouar, ingénieur formé aux Etats-Unis, est le chef de l'une des plus grandes tribus installée en Irak et au-delà des frontières. Il jouit du soutien des Kurdes et des chiites, bien qu'étant sunnite. A l'inverse, certains voyaient en Pachachi un défenseur du nationalisme arabe - doctrine centrale au sein du parti Baas de Saddam Hussein - et lui reprochaient de ne pas avoir joué un rôle prépondérant dans l'opposition au régime lors de ses années d'exil. Il aurait eu en outre des relations conflictuelles avec certains Kurdes et chiites au sein du CIG.
DEBATS ANIMÉS EN PERSPECTIVE AUX NATIONS UNIES
Alors que le principal poste, celui de Premier ministre, a été confié vendredi dernier à un chiite, Iyad Allaoui, l'attribution de la présidence a donné lieu en revanche à d'intenses tractations ces derniers jours. Lundi, les discussions avaient même été reportées à la demande des Américains, constatant leur profond désaccord avec les membres du CIG. On ignorait la raison de l'hostilité de Paul Bremer à la désignation de Ghazi Yaouar.
Après deux jours de tractations houleuses, Etats-Unis et Nations unies ont finalement consenti que le choix se porte sur Yaouar. En échange, le CIG s'est autodissous avec effet immédiat et le nouveau gouvernement provisoire mis au point par le Premier ministre Iyad Allaoui a pris sa succession. Il compte bien moins de membres du CIG que cette instance le souhaitait initialement : deux ministres sur un total de 26, auxquels s'ajoutent cinq secrétaires d'Etat.
"Le CIG s'est autodissous aujourd'hui. Il n'existe plus", a confirmé à Reuters un de ses membres, le Kurde Mahmoud Osman.
Le ministère des Finances est confié au chiite Adel Abdoul Mehdi, le Pétrole à Samir Ghadhban, la Défense à Hazim al Chalaane et l'Intérieur à Falah al Nakib. Le Kurde Hochiyar Zebari conserve pour sa part les Affaires étrangères.Ce dernier devait se rendre mardi à New York pour demander qu'il soit accordé à son pays une "souveraineté totale" dans le cadre de la nouvelle résolution, a-t-on déclaré de source ministérielle.
Le nouveau président, originaire de Mossoul dans le nord de l'Irak, a lui aussi émis des critiques envers la mouture actuelle du texte, que Washington et Londres ont déposé devant le Conseil de sécurité de l'Onu afin d'encadrer le transfert de souveraineté. Yaouar déplore notamment que le texte confère à l'administration irakienne trop peu de pouvoirs sur les 150.000 soldats de la force multinationale commandée par les Etats-Unis qui restera en Irak après le transfert de souveraineté.
Le débat va désormais se déplacer aux Nations unies, où, selon le Premier ministre britannique Tony Blair, une version révisée du projet de résolution sera présentée "prochainement".
A l'initiative du Premier ministre britannique, Tony Blair et Jacques Chirac ont eu mardi un entretien téléphonique de plus d'une demi-heure sur la résolution en gestation. Le chancelier allemand Gerhard Schröder a discuté pour sa part un quart d'heure au téléphone avec George Bush, auquel il a promis que Berlin jouerait un rôle "constructif" dans l'élaboration de la résolution.
La France, la Russie, la Chine et l'Allemagne, qui s'étaient opposées à l'invasion de l'Irak, ont réclamé des modificiations du texte. Ils demandent pour l'essentiel que le transfert de souveraineté ne soit pas une "coquille vide" et que les nouvelles autorités irakiennes disposent de pouvoirs réels.
Tue June 1, 2004 6:07 PM CEST
par Luke Baker
BAGDAD, 1er juin (Reuters) - Désigné mardi à la présidence de l'Irak, le sunnite Ghazi Yaouar, qui n'était pas le candidat des Américains, a aussitôt réclamé pour son pays une "souveraineté intégrale", exigence de nature à diviser à nouveau le Conseil de sécurité.
"Nous, Irakiens, attendons avec impatience de nous voir accorder une souveraineté intégrale par le biais de la résolution du Conseil de sécurité afin de nous permettre de reconstruire une patrie libre, indépendante, démocratique et fédérale", a dit Yaouar lors d'une conférence de presse.
Sans même attendre le transfert de souveraineté prévu pour le 30 juin, le nouveau président et le gouvernement provisoire, dont la composition a été annoncée mardi, ont été aussitôt investis dans leurs fonctions lors d'une cérémonie tenue dans un ex-palais présidentiel de Saddam Hussein.
A Washington, le président George Bush a estimé que le nouveau gouvernement de transition représentait un large spectre de la société irakienne et avait le "talent" pour diriger l'Irak. Et pour le secrétaire d'Etat Colin Powell, ce gouvernement "mérite amplement notre soutien et celui de la communauté internationale".
Sans évoquer nommément le choix de Yaouar, Bush a déclaré lors d'une conférence de presse que "M. Lakhdar Brahimi (émissaire de l'Onu en Irak) avait recommandé une équipe qui possède le talent, l'engagement et la détermination pour conduire l'Irak à travers les défis qui l'attendent".
Un peu plus tôt, Condoleezza Rice, conseillère de George Bush à la sécurité nationale, a parlé à propos de la composition du nouveau gouvernement d'une "formidable liste" de dirigeants. Quant à la Ligue arabe, son secrétaire général Amr Moussa estime que Yaouar est un homme remarquable au parcours "positif". A New York, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a apporté son soutien à la nouvelle équipe irakienne. "Maintenant le nouveau gouvernement est en place. Nous devons tous aller de l'avant et oeuvrer au transfert de la souveraineté et du pouvoir aux Irakiens le 30 juin".
Le Conseil intérimaire de gouvernement (CIG) qui était à la tête de l'Irak jusqu'à mardi, a contesté le projet de résolution américano-britannique en l'état et souhaité que le futur gouvernement ait explicitement le pouvoir de demander le départ des 150.000 soldats étrangers actuellement stationnés en Irak.
Pour ce qui est du président de la nouvelle administration irakienne, le choix s'était porté initialement sur un autre candidat, Adnan Pachachi, lequel avait la faveur des Américains mais aussi des Nations unies. Cet ancien ministre des Affaires étrangères de l'Irak, âgé de 81 ans, a cependant décliné l'offre et c'est ainsi que Yaouar, qui était le favori du CIG, a été retenu pour le poste, aux attributions essentiellement honorifiques.
Les deux vice-présidents de l'administration irakienne sont le chiite Ibrahim Djaafari, qui dirige le parti Daoua, et le Kurde Roouch Chouaïs. Ainsi sont représentées à la tête de l'exécutif les trois grandes communautés d'Irak - les chiites, majoritaires, les sunnites, qui tenaient le pouvoir sous Saddam Hussein, et les Kurdes, établis pour l'essentiel dans le nord.
Agé de 46 ans, Yaouar, ingénieur formé aux Etats-Unis, est le chef de l'une des plus grandes tribus installée en Irak et au-delà des frontières. Il jouit du soutien des Kurdes et des chiites, bien qu'étant sunnite. A l'inverse, certains voyaient en Pachachi un défenseur du nationalisme arabe - doctrine centrale au sein du parti Baas de Saddam Hussein - et lui reprochaient de ne pas avoir joué un rôle prépondérant dans l'opposition au régime lors de ses années d'exil. Il aurait eu en outre des relations conflictuelles avec certains Kurdes et chiites au sein du CIG.
DEBATS ANIMÉS EN PERSPECTIVE AUX NATIONS UNIES
Alors que le principal poste, celui de Premier ministre, a été confié vendredi dernier à un chiite, Iyad Allaoui, l'attribution de la présidence a donné lieu en revanche à d'intenses tractations ces derniers jours. Lundi, les discussions avaient même été reportées à la demande des Américains, constatant leur profond désaccord avec les membres du CIG. On ignorait la raison de l'hostilité de Paul Bremer à la désignation de Ghazi Yaouar.
Après deux jours de tractations houleuses, Etats-Unis et Nations unies ont finalement consenti que le choix se porte sur Yaouar. En échange, le CIG s'est autodissous avec effet immédiat et le nouveau gouvernement provisoire mis au point par le Premier ministre Iyad Allaoui a pris sa succession. Il compte bien moins de membres du CIG que cette instance le souhaitait initialement : deux ministres sur un total de 26, auxquels s'ajoutent cinq secrétaires d'Etat.
"Le CIG s'est autodissous aujourd'hui. Il n'existe plus", a confirmé à Reuters un de ses membres, le Kurde Mahmoud Osman.
Le ministère des Finances est confié au chiite Adel Abdoul Mehdi, le Pétrole à Samir Ghadhban, la Défense à Hazim al Chalaane et l'Intérieur à Falah al Nakib. Le Kurde Hochiyar Zebari conserve pour sa part les Affaires étrangères.Ce dernier devait se rendre mardi à New York pour demander qu'il soit accordé à son pays une "souveraineté totale" dans le cadre de la nouvelle résolution, a-t-on déclaré de source ministérielle.
Le nouveau président, originaire de Mossoul dans le nord de l'Irak, a lui aussi émis des critiques envers la mouture actuelle du texte, que Washington et Londres ont déposé devant le Conseil de sécurité de l'Onu afin d'encadrer le transfert de souveraineté. Yaouar déplore notamment que le texte confère à l'administration irakienne trop peu de pouvoirs sur les 150.000 soldats de la force multinationale commandée par les Etats-Unis qui restera en Irak après le transfert de souveraineté.
Le débat va désormais se déplacer aux Nations unies, où, selon le Premier ministre britannique Tony Blair, une version révisée du projet de résolution sera présentée "prochainement".
A l'initiative du Premier ministre britannique, Tony Blair et Jacques Chirac ont eu mardi un entretien téléphonique de plus d'une demi-heure sur la résolution en gestation. Le chancelier allemand Gerhard Schröder a discuté pour sa part un quart d'heure au téléphone avec George Bush, auquel il a promis que Berlin jouerait un rôle "constructif" dans l'élaboration de la résolution.
La France, la Russie, la Chine et l'Allemagne, qui s'étaient opposées à l'invasion de l'Irak, ont réclamé des modificiations du texte. Ils demandent pour l'essentiel que le transfert de souveraineté ne soit pas une "coquille vide" et que les nouvelles autorités irakiennes disposent de pouvoirs réels.